Eh oui, comme chaque année, il succède à l'été pour nous préparer à l'hiver. Mesdames-Messieurs, je vous demande d'accueillir l'automne. Ouuuaaaaaiiis ! Gnifique !!!
Jours qui raccourcissent, feuilles colorées, nuages gris, châtaignes et baisse des températures ; sans oublier cette phrase que l'on peut souvent entendre au détour d'une conversation de trottoir ou de supermarché : "Ah ben, cette fois, l'été est bel et bien fini !"
Quand soudain, ne voilà-t-il pas...
C'est dans cette perspective que nous nous sommes lancés, mon père et moi, pour une 'petite marche' de 25 kilomètres sur quelques sentiers morvandiaux que lui-même connaît très bien pour avoir souvent été ses terrains de jeu d'enfance ou trajets écoliers d'adolescent. Certains de ces chemins étaient également empruntés par son père (donc mon grand-père paternel, oui, tu suis, ok parfait !) pour se rendre au travail dès le début des années 1950 jusqu'en 1965.
Nous sommes le 21 octobre 2015. La coïncidence veut que c'est précisément ce jour là que Marty McFly débarque dans le futur dans le film "Retour vers le futur 2". Coïncidence car les différents lieux que nous allons parcourir avec mon père sont emprunts de souvenirs datant essentiellement des années 1950-1958. Tu comprends ? Non !
PETIT RÉCAPITULATIF !
Bon, alors, si tu connais un peu la trilogie des films "Retour vers le futur" (1984-1990) de Robert Zemeckis, tu dois savoir que dans le premier opus, Marty McFly voyage dans le temps, en se rendant de l'année 1985 à l'année 1955. Le but de ce voyage est de changer le cours du temps. Dans le second volet, Marty doit se rendre dans le futur, le 21 octobre 2015 très précisément, car c'est à cette date que son futur fils commet l'erreur de participer à un évènement qui va bouleverser la vie de la famille McFly.
Je me souviens avoir vu ce film à sa sortie en 1989. Cela semblait possible, en 2015, que les voitures puissent voler, que les pizzas puissent s'aggrandir en un coup de four micro-ondes, que les skate-board se mettent à voler, que les chaussures se lacent toutes seules, que les serveurs soient des robots, et que Spleilberg sorte le film Jaws 19,... Si, si... 2015, en 1989, c'était dans 26 ans ! Alors pourquoi pas ?!
Mais finalement, cela ne s'est pas tout à fait passer comme je pouvais le penser. Les voitures ne volent pas, les chaussures ne s'autolacent pas, la mode n'est pas à la double-cravate et dans les trois films, il n'y a jamais d'allusion à cet objet profondément "futuriste actuel" qu'est le smart-phone !
En résumé, ce que je veux dire par là -, pour faire court parce qu'on n'a pas que ça à faire non plus,- si on se réfère à"Retour vers le futur", c'est intrigant de voir que c'est aujourd'hui, 21 octobre 2015, que nous allons emprunter les chemins morvandiaux que mon père et mon grand-père parcouraient dans les années 1950.
L'autre 'coïncidence', qui n'en est pas vraiment une, c'est également ce jour là, il y a quatre ans, que ma grand-mère paternelle décédait. Pensées...
ALLEZ, C'EST PARTI POUR
UN VOYAGE DANS LE TEMPS...
Et sans machine !
Nous sommes à Château-Chinon, petite ville grand renom, bien connue pour son ancien maire François Mitterrand, ses musées du Septennat et du Costume, sa fontaine Nikki de Saint-Phalle, sa Porte Notre-Dame, son ancien château féodal... On a déjà parlé de tout cela dans de précédents épisodes.
Il n'est pas loin de 9h34 lorsque nous chaussons les sacs à dos. Dedans, boissons et pique-nique ! Nous prenons la direction la rue Diderot qui se trouve juste derrière le nouveau bar-restaurant "Le Relais du Morvan" se trouvant sur la route d'Autun, non loin de l'usine fabriquant les "Terrines du Morvan".
Déjà, je ne sais pas pourquoi, mais je pense que le mot "Morvan" va être souvent usité dans ce billet.
Pour faire court -et pour ceux qui ne savent pas de quoi on parle lorsqu'on utilise le mot "Morvan"- il faut savoir que le Morvan est un parc naturel régional depuis 1970, situé en Bourgogne, à cheval sur les quatre départements qui composent cette région, c'est à dire la Nièvre, l'Yonne, la Côte d'Or et la Saône-et-Loire. Incroyable ! Le Morvan n'est pas à proprement parlé un massif montagneux. Disons plutôt qu'il arbore de belles collines. L'altitude la plus haute du parc est estiméà 910 mètres et porte le nom de Haut Folin. Lorsque j'étais enfant, nous allions y faire du ski de fond et le lieu-dit possédait une (pas deux, pas trois, pas quatre !) piste de ski alpin. En fait, le ski était pratiqué sur le Haut-Folin depuis les années 50. Décidément, nous allons beaucoup parler des années 1950 aujourd'hui.
La seule piste de ski alpin possédait une remontée mécanique au bas de laquelle se trouvait un chalet-restaurant. Cette unique piste avait également ses propres canons à neige. Malheureusement, le réchauffement climatique faisant progressivement son travail de sape, la neige tomba de moins en moins sur le massif et le téléski a depuis disparu à la fin des années 1980.
Mais le Morvan, c'est aussi des forêts, des lacs, des étangs, de petits villages isolés, une nature sauvage et protégée, une culture ! Le Morvan, c'est aussi Bazoches, Luzy, Uchon, Lormes, Saulieu,... C'est aussi des sites historiques comme Bibracte, Alésia, Vézelay,...
Carte : Patrimoine du Morvan
Le Morvan, c'est aussi la gastronomie avec le célèbre jambon de Bayonne... du Morvan, le fromage, le crapiau, la rapée, la galette aux griaudes, la potée bourguignonne,...
Le Morvan, ce sont aussi des instruments musicaux, tels que l'accordéon diatonique, l'accordéon chromatique, la cornemuse, le violon et, bien sûr, la vielle ! Et la danse !!!
MUSIQUE !
Une fois les usines "Terrines du Morvan" passés, nous escaladons la rue Diderot qui nous mène tranquillement vers un cul-de-sac. C'est prévu. Car ce cul-de-sac n'en est pas vraiment un. La route devient chemin, puis le chemin s'en va se perdre dans les profondeurs morvandelles, là-bas, au loin.
En tentant de repérer le chemin par Google satellite,
je tombe sur cette photo étrange,
prise par Wickie de Viking,
à quelques mètres du lieu où nous nous trouvons...
Photo : Wickie de Viking
Heureusement, mon père connaît le parcours par coeur. Dans un premier temps, nous allons descendre en direction de l'Yonne, petite rivière prenant sa source sur les monts de la Gravelle, non loin du village de Glux-en-Glenne. Après avoir parcouru 293,3 km, elle s'en va ensuite se jeter dans la Seine à Montereau-Fault-Yonne (77).
"Par sa direction et son débit, l'Yonne a joué un grand rôle dans le développement et l'approvisionnement de Paris, depuis le Moyen Âge jusqu'à l'époque des chemins de fer, notamment pour le flottage du bois de chauffage depuis le Morvan et la descente des vins de Basse-Bourgogne." (WIKIPEDIA)
Avant de rejoindre la vallée,
et pour commencer ce périple,
de belles charolaises nous font une véritable ovation...
Et celles-ci ont particulièrement la classe ! Tu as vu sur les photos : on a l'impression que telles un groupe de rock, elles posent pour une pochette de disque !
Dans un premier temps,
nous suivons un chemin assez large
descendant à travers champs,
séparés par des haies de ronces productives de mûres.
Nous entrons ensuite dans une forêt. A sa lisière, nous apercevons quelques cadavres de canettes de bière métalliques. Quelques beaucoup ! D'où cela peut-il venir ? d'une buse alcoolique ? D'un cerf assoiffé ? D'un renard biker ? Non, la provenance n'est pas animal, mais bel et bien humaine. Sûrement quelques-unes de ces personnes qui chassent ou qui coupent du bois ou qui entretiennent les forêts morvandelles...
Un peu plus bas, et après quelques quinze minutes de marches dans la forêt silencieuse aux couleurs automnales sans soleil, nous rejoignons la route du Pont d'Yonne qui nous mène, ô magie, au Pont d'Yonne. Et à cet endroit, figure-toi qu'il y a un pont et qu'il y a... il y a... Oui bravo : il y a l'Yonne ! Mais ce n'est pas tout !
C'est ici aussi, dans cette vallée surplombée par Château-Chinon que se trouvaient les usines Morvan.
"En 1923, pour utiliser une surproduction d'électricité de l'usine de la Pierre Glinotte, Louis Gallois, propriétaire, créa diverses activités, à commencer par une entreprise de broyage de vieux pneus, puis une manufacture de caoutchouc (semelles, chaussures de sport et de travail…) en 1928. Afin de s'agrandir, il s'établit sur deux nouveaux sites à Château-Chinon Ville : le site de l'ancienne prison et celui des usines de meubles Thévenin rachetée en 1941. Sur le site de la route de Nevers, l'usine fabrique des articles chaussants (les fameuses Pataugas), des pièces techniques diverses, des masques pour l'Armée,… Après avoir ouvert en 1970 une branche thermoplastique, le site et les Usines Morvan ferment en 1979."PATRIMOINE DU MORVAN
C'est dans cette usine, au début des années 1950, que mon grand-père débuta comme ouvrier. L'entreprise emploie alors 600 personnes et fabrique semelles, talons et plaques de caoutchouc destinés àéquiper des chaussures essentiellement militaires.
"Ouvrier cuiseur, il conduit plusieurs presses équipées de moules permettant de réaliser différents types de semelles et talons, de toutes formes et de différentes pointures, ainsi que des plaques en caoutchouc. La chaleur et les vapeurs dégagées à l'ouverture sont pénibles, souvent plus difficiles encore en été sous la verrière du toit.
Un comité d'entreprise existait au sein de l'usine. Une coopérative fournissait aux ouvriers divers produits alimentaires à des prix attractifs. Un arbre de Noël était organisé chaque année. Après avoir assistéà une séance de cinéma, les enfants des employés se retrouvaient dans les locaux administratifs autour d'un goûter pour recevoir cadeaux et friandises.
Début septembre, un voyage leur était également offert. Il fallait se lever tôt pour être conduit en voiture par les dirigeants de la société jusqu'au car qui permettait ensuite de découvrir le barrage de Génissiat dans l'Ain ou la base aérienne de Creil. Mon père effectuera ce travail jusqu'en 1965. (...)" DANIEL GUYOT
Grâce également àVENTS DU MORVAN, j'ai pu retrouver quelques informations sur cette usine symbole de Château-Chinon.
Né le 8 octobre 1897 à Château-Chinon, Louis Gallois a étéélevé au Moulin d'Yonne. Après le décès de son père, des études prolongées et son service militaire, il revint au moulin d'Yonne avec la ferme intention de 'domestiquer' la rivière à des fins productives. En 1921, il rachète l'usine hydro-électrique qui ravitaillait Château-Chinon en eau. En 1922 et 1923, il fait construire le barrage et l'usine électrique de la Pierre Glissotte. Cet ensemble permettait alors de produire 2 500 000 kwh par an, soit 1/1500ème de la consommation nationale à l'époque.
Ingénieux, entreprenant et attachéà ses racines morvandelles, Louis Gallois diversifie ses activités. Durant toute sa vie professionnelle, il aura déposé une quarantaine de brevets, d'un économisateur d'essence à la presse à injection.
Au début des années 1920, il participe à l'exploitation industrielle d'une veine marbrée découverte au Puits-en-Morvan. De celle-ci sera extraite un marbre blanc assez pur qui servira à la réalisation de la moitié du sol de la basilique de Lisieux ainsi qu'à le confection des "Granitos du Morvan" par centaines de tonnes pendant plusieurs années jusqu'àépuisement du filon. En parallèle, il achète au même moment la "prison" de Château-Chinon pour y installer un atelier de pantoufles.
Produisant beaucoup de courant avec ses deux usines, Louis Gallois cherche une fabrication grande consommatrice d'électricité. Il se tourne ainsi vers la production de caoutchouc et, en 1927, il expose au Grand Palais à Paris les produits qu'il fabrique à partir de déchets de pneumatiques. En 1938, l'usine produit des masques à gaz pour l'armée française pour lesquels il déposa des brevets afin d'améliorer la technique de moulage. C'est ainsi qu'il invente la presse à injection qui lui permet alors de répondre aux demandes d'approvisionnement de l'armée. Mais l'usine Morvan produit également tout ce qui se rapporte aux semelles et au ressemelage : gommes,crayons, tapis de jeux et buvards, tennis, baskets, ...
Ce qui vaut à l'époque cette publicité dythirambique :
L'une des grandes fiertés de l'usine Morvan est la chaussure de brousse. Celle-ci se doit d'être très résistante au niveau des semelles car elle est majoritairement utilisée par les troupes françaises envoyées en Indochine. Louis Gallois y incorporera des plaques en acier pour protéger des piques déposés sur le sol par les Viet Minh.
"Le développement de la technique de l'injection permet à la sociétéMorvan d'être une des premières industries européennes de caoutchouc à fabriquer ses semelles par injection. L'évolution de ce procédé a généré l'utilisation du matériel "Desma" dont chaque unité de presse avait une force de fermeture de 500 tonnes. Cette technique permettait de limiter autant que faire se peut les bavures de caoutchouc trop gourmandes en main d'oeuvre pour les ébarder."VENTS DU MORVAN
La sociétéMorvan est à présent répartie sur trois sites :
- celui du Moulin d'Yonne qui produit semelles, talons, plaques et pièces techniques diverses
- celui de la prison à Château-Chinon (l'actuelle piscine de la ville) où se trouve la cantine du personnel et le stockage des pièces détachées.
- celui de la rue Thévenin, à Château-Chinon, où l'on réalise l'assemblage des articles chaussants ainsi que des pièces techniques diverses.
Toujours en évolution et à l'écoute des nouveautés techniques, la société fut également une des premières industrie française à utiliser et à développer des matériaux sous forme de granulés en caoutchouc thermo-plastique (Morvanflex). Cette technique permet la production et l'élaboration de produits plus complexes et de précision, tels que les lunettes de ski et les palmes.
Malheureusement, malgré ce dynamisme, cette réactivité aux évolutions et aux techniques de fabrication, la société n'a pu survivre au désengagement de l'Etat envers l'armée et à l'arrivée massive des produits importés d'autres pays étrangers à faibles prix. La société dépose le bilan en 1979.
L'usine Morvan aura contribuéà donner du travail à des centaines de familles morvandelles de 1924 à 1979. 80% des employés étaient originaires de Château-Chinon et de ses villages alentours (Corancy, Arleuf, Blismes,...).
Nous traversons l'ancien emplacement de l'usine Morvan, ici, au Moulin d'Yonne. Il n'y a plus rien. Seule une chape de béton vierge, hébergeant quelques buses en béton nécessaire à des travaux réalisés à proximité, subsiste. Rien ne laisse à penser qu'ici, autrefois, plusieurs centaines d'ouvriers travaillaient chaque jour et chaque nuit sur de nombreuses machines.
Photo : Vents du Morvan
Un peu plus loin, nous empruntons le chemin qui doit nous mener à l'usine électrique, puis au barrage de la Pierre Glissote. Pour cela, nous longeons un cours d'eau maîtrisé qui est, en fait, une dérivation des eaux de l'Yonne censée fournir de l'eau potable à Château-Chinon.
Quelques mètres plus loin, nous arrivons à hauteur de l'usine électrique...
Photo : Gennièvre
Plus rien n'est actif. Les locaux sont abandonnés ou servent de réserves à d'autres activités de chantier. Nous continuons. Le sentier se fait chemin ; un chemin emprunté par des camions et des pelleteuses. Cette activité est due au fait qu'EDF a décidé de détruire le barrage de la Pierre Glissote afin de recentrer l'énergie électrique sur un seul domaine. En attendant, nous arrivons dans un paysage de "désolation"... enfin, un paysage en reconstruction.
Photos noir et blanc : Gennièvre
À présent, nous empruntons les chemins que mon grand-père paternel empruntait pour aller de la maison familiale à l'usine Morvan.
Chemins de traverse, pentus, parfois boueux ou inondés, recouverts de neige certains mois, difficiles, tortueux.
Mon père m'explique le quotidien de l'époque.
"Chaque jour, du Pont d'Yonne au petit hameau de Châgnon, mon grand-père Léon faisait plus de cinq kilomètres à vélo ou à pied suivant la météo. Il fallait alors compter de 1h30 à 2h de trajet, seulement pour un aller ; soit 4 h aller-retour par jour que tu additionnais aux heures de travail effectives. Il effectuait ce trajet de jour ou de nuit, suivant ses horaires, sachant qu'il travaillait en 3/8. Son emploi du temps professionnel alternait de cette façon : une semaine de 13h à 21h, une semaine de 5h à 13h et une semaine de 21h à 5h.
Lorsque la neige était présente ou que le gel rendait le chemin impraticable, mon grand-père effectuait le trajet à pied, s'aidant d'une canne. Il lui faut alors près de deux heures pour rejoindre l'usine et autant, bien sûr, pour rentrer dès la fin du travail. Il effectuait le trajet seul ou très rarement avec un ou deux autres collègues ouvriers habitat La Manille, petit hameau situé juste en-dessous de Châgnon, quand les heures d'équipes coïncidaient."
Un bref calcul permet de se rendre compte que les journées étaient parfois de plus de 12 heures.
Ces chemins traversent tour à tour forêts, champs et petits ruisseaux.
Après quelques minutes de marche depuis le barrage, nous arrivons en un lieu autrefois habité dans les années 1950. Cet endroit se composait d'un important corps de ferme et d'une maison où habitaient les fermiers.
Chaque hiver, mon père fait une marche dans ce coin. Il a ainsi pu constater la lente dégradation des lieux.
LE CORPS DE FERME
En 2000 :
Le toit était troué, mais encore présent.
En 2003 :
La ferme est littéralement coupée en deux après l'affaissement du toit
21 octobre 2015
Il n'y a plus de toit et la végétation s'est invitée à l'intérieur de la bâtisse en ruine.
Quelques vaches restent à proximité.
La maison de ce couple de fermiers se trouve juste à côté de la ferme. C'est ici que mon grand-père faisait parfois une pause chez les habitants. Il buvait un café et se réchauffait un peu avant de reprendre son vélo pour rejoindre Châgnon qui était encore loin.
LA MAISON
En 1983
Abandonnée, mais debout au soleil.
21 octobre 2015
En ruine, cernée par les arbres, on la distingue à peine. Peu à peu, ses murs s'effondrent.
C'est étonnant de voir qu'en 32 ans, la nature a repris ses droits et cerne peu à peu la bâtisse pour la faire disparaître.
Nous continuons. Le chemin est assez large et propose une belle vue sur les bois et champs environnants. La forêt couvre actuellement près de 45% du parc naturel régional du Morvan, soit 128 000 hectares.
Les forêts sapins sont de plus en plus nombreuses dans le Morvan et occupe plus de 35% du peuplement forestier morvandiau. Cela s'explique par des questions de commercialisation et d'entretien. Résistant à bien des maladies, le sapin ne demande que très peu d'entretien une fois planté. De plus, les forêts de sapins s'autosuffisent ; c'est à dire qu'il y a très peu de nettoyage au sol à faire par la suite, contrairement à une forêt avec d'autres composants.
Nous arrivons à une intersection dégagée où, sur un poteau de pâturage, apparaît un petit panneau rappelant que nous évoluons sur un chemin de pèlerins ; le même que celui que nous avions pris lors de notre expédition à la Chapelle du Banquet au mois d'août.
Comme tu peux le voir, ce chemin est interdit aux pèlerins de plus de 3,5 tonnes. En fait, cela s'explique par le fait qu'un peu plus loin, nous arrivons à un petit pont enjambant une Yonne un peu plus tonique. Il s'agit du Pont Bertrand.
Comme on peut le voir, il est intact. Ou plutôt disons qu'il a été entretenu, puis rénové.
Au début des années 1950, ce pont n'existait pas. C'était un gros tronc d'arbre que des employés de l'usine Morvan, habitant les hameaux voisins, avaient fait choir pour pouvoir traverser la rivière qui atteignait à cet endroit une largeur de plus de 2,50 mètres. Un autre tronc servait de rambarde.
Comme me l'explique mon père, c'était un passage dangereux surtout quand les eaux de la rivière, gonflée par les fortes pluies, passent par dessus le tronc, le rendant glissant et instable. Le poids du vélo que tient mon grand-père su son épaule pour traverser rend l'opération encore plus périlleuse, surtout la nuit. Une lampe électrique et une dynamo installés sur son vélo sont les seuls moyens dont il dispose pour s'éclairer.
Quand il gèle, l'arbre est glissant, rendant le passage impossible. Mon grand-père est alors obligé de prendre un chemin plus long pour contourner cette dangereuse traversée.
En 1952, les dirigeants de l'usine Morvan engageront la construction d'un pont en bois avec parapet permettant de franchir l'Yonne en toute sécurité et en toute saison.
C'est également ici dans les années 1980 que nous faisions de traditionnels pique-niques familiaux, comprenant tantes, oncles, cousines, cousins de tout âge. Rendez-vous incontournable pour regrouper tout le monde et se tenir au courant des évolutions de chacun.
Une fois le pont Bertrand passé, nous attaquons le dur ! Ici, nous sommes à 345 mètres d'altitude. Nous allons maintenant emprunter un petit chemin de traverse escarpé et pentu, bordé de ronces pour délimiter les champs.
Nous prenons peu à peu de la hauteur...
...et nous croisons quelques sculptures champignonesques.
Derrière nous, maintenant plus bas, le château de Salorges, les quelques maisons de L'Huis-l'Abbé, la vallée d'Yonne, les ruchers du Morvan...
HOP, attention,
à gauche, là-bas, à la lisière du bois,
des biches...
Et nous arrivons au hameau de La Manille où il y a des travaux. Bordel : tu marches en pleine campagne morvandelle pour trouver le calme et voilà : de la pelleteuse, du camion qui te retournent de la terre dans tous les sens !!!
Bizarrement, je n'ai pas pris de photo de La Manille. En voici deux que mon père avait prises en hiver 2003.
Ah oui, attention : il ne faut pas confondre Manille et La Manille.
MANILLE
Photo :Cathaypacific
Capitale des Philippines, c'est l'une des villes les lus peuplées au monde.
Située dans la baie de Manille en mer de Chine méridionale
et traversée par la rivière Pasig, la capitale des Philippines est ancienne et moderne,
riche et pauvre. La ville regorge de musées, de magasins,
de parcs et d’églises, sans parler de sa vie nocturne trépidante.
LA MANILLE
Photo : Google view
Petit hameau de Corancy, situé sur les hauteurs du Morvan.
C'est dans ce petit lieu-dit que on père allait à l'école primaire dans les années 1950. L'école de La Manille regroupait 30 à 40 élèves depuis le cours préparatoire jusqu'à la classe préparant le certificat d'études. L'âge des enfants allait de 6 à 14 ans.
Mon père à l'école de La Manille, en 1955 et en 1957
"J'ai effectué ma première année scolaire assis sur un ensemble table-banc monobloc en bois avec le pupitre incliné. Sous le pupitre, un casier permettait de ranger livres et cahiers. La place attribuée lors de la rentrée restait la même pour toute l'année scolaire.
Sur le haut du pupitre, une rainure dans le bois permet de poser le crayon d'ardoise et le porte-plume. Deux encriers en faïence contenaient l'encre violette utilisée pour écrire, mais aussi pour décorer involontairement lèvres et mains. (...)
L'institutrice, que l'on appelle 'La Dame', est autoritaire et sait se faire respecter. Tous les élèves en ont un peu peur, surtout quand elle élève la voix, n'hésitant pas s'il le faut à tirer la tignasse d'un élève étourdi, inattentif ou bavard."
Nous ne traversons pas le hameau pour emprunter le chemin de La Fiolle, montant à la sortie sud de La Manille. Malheureusement, ce chemin que mon père prenait chaque jour pour aller de l'école à Châgnon, est en travaux.
C'est très étrange : on a l'impression qu'ils construisent le premier Escalator de randonnée du monde, reliant Châgnon à La Manille ; le tout sous les inquiétantes branches d'un châtaignier.
C'est non loin de cet arbre que mon grand-père avait acheté un champs avec un petit bois dans lequel, avec mon père, il abattait quelques arbres pour les transformer en bois de chauffage. Quelques mois plus tard, mon grand-père y plantera de petits sapins qui, après une pousse de quatre à cinq ans, seront vendus comme sapin de Noël ; une des autres spécificités du Morvan encore aujourd'hui.
Tant bien que mal, nous atteignons le hameau de Châgnon. C'est ici que mes grands-parents et mon père ont aménagé en 1950. Avant, ils habitaient au lieu dit "Les moulins" qui se trouvait dans la vallée d'Yonne aujourd'hui recouverte par les eaux du lac de Pannecière.
Lorsque ce lac est vidé pour être nettoyé, on peut apercevoir quelques vestiges de l'habitation en question...
Mon père est né ici. Après avoir travaillé dans les fermes environnantes comme ouvrier agricole, mon grand-père avait été embauché par une entreprise de maçonnerie assurant la réalisation d'ouvrages tels que des ponts et des murs en pierres, le long de la future retenue d'eau du barrage de Panneçière. C'est également dans cette maison que ma grand-mère, pupille de la nation, fut élevée par une famille de paysans pauvres, mais dévoués. Commencée après la guerre, la construction de ce barrage a généré une très grande activitééconomique sur les communes environnantes jusqu'à la mise en eau en 1950, qui poussera mes grands-parents à déménager après le dynamitage de la maison par les autorités locales.
Le déménagement sera rapide car mes parents ne possédaient que l'essentiel en meubles : un poêle à bois en fonte, une cuisinière ancienne, un grande table avec des chaises, un buffet, une grande maie, une imposante armoire, une horloge comtoise (qui fonctionne encore aujourd'hui) et la literie.
Mes grands-parents lors de leur mariage en 1944 / ma grand-mère et mon père à quelques mois
Beaucoup de dépendances s'ajoutent à la maison de belle apparence : un hangar pour stocker du bois de chauffage, une écurie pour entreposer les vélos et les outils de jardinage. C'est dans cette écurie que seront logées les deux chèvres dont mes grands-parents se rendront acquéreurs pour donner du lait. Une autre écurie sert de poulailler et un autre local permet d'élever des lapins.
Un vaste jardin potager permet de récolter des légumes et le fourrage nécessaire aux lapins et aux chèvres. De nombreux arbres fruitiers (pommiers, poiriers, pêchés, pruniers et cerisiers) permettent de composer des desserts, des confitures et des compotes. Dans un champ dont il a hérité, mon grand-père cultivait des pommes de terre et des graines, telles que l'orge et l'avoine pour élever les volailles.
Châgnon vit donc en autarcie. Ses habitants mangent essentiellement ce qu'ils produisent. Seuls restaient les achats de l'huile, du café, du sucre,... que l'épicier de Corancy amenait deux fois par semaine lors de ses tournées en camionnette tôlée. La fourniture du pain était assurée par le boulanger de Planchez, surnommé"le Titi" qui, deux fois par semaine, avec sa voiture, une Prairie camionnette bleue, livre baguettes, miches et couronnes. Une fois par semaine également, dans leur deux CV camionnette, un boucher-charcutier et un boucher proposent viande, jambon, saucisson et autres. Quant au vin, c'est Henri T, négociant à Corancy, qui livre le vin rouge en fûts de bois de 200 litres appelés "Feuillettes".
La famille allait recueillir l'eau à la fontaine du village, située à 300 mètres de la maison à l'aide de deux seaux en zinc pesant 20 kg chacun une fois remplis.
Pas de téléphone à Châgnon. Pour appeler médecin ou vétérinaire, il faut descendre à La Manille, chez Madame Suzanne, surnommée "La Bordasse", où est installé le téléphone public.
Une autre particularité du Morvan était de recueillir les enfants de l'assistance publique.
"En 1951, et malgré les six dernières années qui viennent de s'écouler depuis l'Armistice, la dernière guerre a laissé des traces. Des familles éclatent et se déchirent, l'alcoolisme fait des ravages, des "filles mères" ne peuvent élever décemment et assurer l'avenir de leurs enfants. Ceux-ci sont placés à l'assistance publique, organisme chargé de les confier à des familles, généralement habitant la campagne, et qui leur assureront bien-être et éducation, moyennant rémunération, en tenant le rôle de parents. Le Morvan, et plus précisément la région de Château-Chinon, est un véritable creuset pour recueillir ces enfants. Beaucoup seront 'placés' dans les villages composant la commune de Corancy : à Châgnon, La Manille, Vouchot et Lorien."
Mes grands-parents accueilleront trois de ces enfants.
Bien sûr, pas d'ordinateur, pas d'internet, pas de télévision... Cette dernière arrivera à Corancy en 1955 au café-restaurant Julien de Corancy. Toutefois, la même année, mes grands-parents reçurent en cadeau un poste de TSF, gros appareil massif avec caisson en bois verni, qui permettait d'écouter les émissions radiophoniques. Mon père se souvient de celles présentées par Zappy Max, ou encore les Chroniques de Madame Geneviève Tabuis ("Attendez-vous à savoir"), celles de Jeanne Sourza pour son émission "La Hurlette" ou de Raymond Souplex avec "Sur le banc", sans oublier les aventures de la famille Duraton, les informations et, en été, la diffusion des étapes du Tour de France cycliste.
Quelques maisons composent le hameau encore aujourd'hui.
Une quinzaine d'habitants vivent encore ici. Certaines maisons ont été transformées. Les écuries ont parfois disparu pour devenir des lieux d'habitation.
Nous marchons un peu dans le hameau ; le regard alerte sur les choses, comme...
Ces tracteurs qui n'ont apparemment pas roulé
depuis un petit moment.
Mes grands-parents et mon père quitteront Châgnon en septembre 1958, quelques jours avant la rentrée des classes que mon père et ses soeurs allaient effectuer à l'école de Corancy. Toute la petite famille alla emménager dans une petite maison isolée, au Port-de-l'Homme, situéà un kilomètre environ du bourg.
Nous nous enfonçons ensuite dans la campagne située au-dessus du hameau.
Nous passons à proximité du 'ruisseau' du Grand Reu
où mon père venait pêcher la truite avec son oncle.
Le ruisseau s'est quelque peu tarie et sort de son lit.
Le chemin s'enfonce une nouvelle fois dans les bois. Nous sommes dans les massifs forestiers du Bois Boulle et de Gros-Mont.
Nous arrivons au bois que possède mon père sur les hauteurs.
Mon père et mon grand-père ont planté des sapins après en avoir nettoyé le sol
C'est le moment de faire une pause pique-nique !
Une petite demi-heure pour se ravitailler avant de reprendre les chemins.
Nous montons encore un peu avant de bifurquer sur la gauche à hauteur de la roche de Preillard, gros caillou isolé, posé là au milieu des bois.
Une légende ? Une histoire ?
Un conte comme ceux que l'on peut entendre
à propos de la forêt de Brocéliande ?
Eh ben non.
Nous retrouvons le petit ruisseau du Grand Reu avant d'emprunter une très beau sentier traversant la belle forêt calme et silencieuse de la Rouère. Dans celle-ci, se tient une véritable exposition de sculptures champignonesques.
Mais ce n'est pas les seuls éléments
que l'on peut trouver dans les bois morvandiaux.
Un peu plus loin, par exemple, nous découvrons une belle cabane en bois, seule et isolée dans la forêt.
Loin de toute urbanisation, en contact direct avec les bois et la nature.
Nous reprenons un chemin plus large et parfois parcouru par des engins à moteurs lorsque nous regardons les traces au sol. Un beau panorama sur Ch^gnon et les monts morvandiaux apparaît. À la croisée de chemins, nous passons devant un lot de cabanes improvisées. Mon père me dit que c'est ici qu'habite un ermite. Il a sa réserve de bois, son poêle, une citerne pour récupérer l'eau de pluie et nous entendons quelques bruits animaliers. Le "jardin" est même décoré par quelques nains en plâtre ; ce qui apparaît étrange ici, en pleine campagne.Nous continuons de descendre.
Le chemin est bordé de petits terriers,
signe de la présence de quelques renards.
Nous retraversons le haut de Châgnon en passant par l'ancien puits avant de pénétrer dans l'un des anciens bois de mon grand-père. Aujourd'hui recouvert d'arbres, c'était autrefois un champs où se trouvaient quelques cultures.
Bois en 2015 et moissons en 1955
Nous continuons de progresser dans les bois par un petit sentier se faufilant entre arbres à houx et fougères colorées jusqu'à tomber nez à nez avec une vieille carcasse de voiture.
Non, il ne s'agit pas de la Delorean de "Retour vers le futur". On dirait plutôt une Renault Dauphine.
Fabriquée à partir de 1956 et jusqu'en 1967, la Renault Dauphine est LA voiture française qui symbolise la génération Yé-Yé. Elle fut la plus vendue en France de 1957 à 1961 et sera consacrée "plus jolie petite 4 places du monde" par l’hebdomadaire américain The Motor en 1957. Petite berline à 4 portes à moteur arrière placé en porte à faux en arrière de l'essieu, conçue par l'ingénieur Fernand Picard et dessinée avec la styliste italien Ghia. Elle sera déclinée sous plusieurs noms (Gordini, Floride, Ondine, 1093, Export USA,...).
Photos : Mrugala,
Un peu plus bas et plus loin, aucun rapport, mais c'est sur une caravane abandonnée que nous tombons.
Elle aussi est au milieu de la forêt, loin de tout et semble avoir été habitée.L'intérieur est encore aménagé et des matelas, usés par le temps, sont empilés au dehors.
Nous reprenons notre descente vers La Manille. Autrefois, il y avait par ici un chemin bien éclairici qui conduisait à la route principale reliant Châgnon à La Manille. Mais... là... on a beau cherché : on ne le trouve pas. La nature a une nouvelle fois repris ses droits et le chemin officiel a disparu sous la végétation (arbres, arbustes, branches, ronces,...). Nous traversons donc la forêt de façon aléatoire.
Nous continuons notre descente en passant devant la Croix de Chaumont
(prononcez "Croix de Saumon" en morvandiau)...
...en suivant le chemin de la Grand'Varm
d'où l'on découvre une très belle vue sur Corancy.
C'est ce chemin que mon père, enfant de choeur, empruntait pour aller de Châgnon à l'église de Corancy. C'est aussi ici que se tenaient d'importantes manifestations et des rendez-vous de l'adolescence de mon père : bal, fêtes, mariages,...
Musique avec mon père à l'accordéon et essais de caisse à savon
Après un bref passage au Port-de-l-Homme pour voir que l'ancienne maison familiale a complètement été rénovée, nous refranchissons l'Yonne pour reprendre le chemin de retour en direction de l'Huis-Gaudry et la chapelle de Montbois.
Après quelques sept de marche, nous arrivons à l'entrée de Château-Chinon. Fin de cette belle randonnée, nostalgique et instructive.
Voilà !